Si la doctorante en histoire de l’art Véronique Lacroix (B.A. gestion et design de la mode, 2017; M.A. histoire, 2021) consacre aujourd’hui une partie de son temps à étudier les parures des anciennes reines d’Égypte, cela a sans doute un peu à voir avec son intérêt pour la mode. C’est d’ailleurs en gestion de la mode, plus particulièrement en marketing, que l’étudiante a entamé son parcours universitaire. Mais à la fin de son bac, plutôt que de se lancer sur le marché du travail, Véronique Lacroix a décidé d’opérer un changement à 90 degrés dans son choix de carrière. Elle s’est s’inscrite à la maîtrise pour se consacrer à une autre de ses passions: l’histoire de l’Égypte ancienne.
Dès son année de propédeutique, l’étudiante est allée voir le professeur du Département d’histoire Jean Revez, un égyptologue reconnu et l’un des seuls au Québec à enseigner l’égyptien hiéroglyphique, pour lui annoncer qu’elle voulait faire sa maîtrise en histoire avec lui. «Il m’a questionnée sur mes intérêts, raconte la doctorante. Je lui ai dit que je m’intéressais à l’histoire des femmes et je lui ai parlé des lettres d’Amarna que j’avais découvertes dans un cours préparatoire qui m’avait passionnée.»
Les lettres d’Amarna (du nom du site où on les a découvertes), ce sont des tablettes d’argile datant du 14e s. av. J.-C. qui contiennent, gravés en écriture cunéiforme, ce que l’on considère comme les plus anciens documents diplomatiques du monde. Ces lettres racontent les correspondances entre les pharaons et les souverains rivaux de la région. Entre autres, les tractations compliquées entourant les alliances avec les pays étrangers.
Mariages diplomatiques
«Jean Revez m’a proposé de travailler sur les mariages diplomatiques, un sujet qui combinait mes intérêts pour l’histoire des femmes et pour la diplomatie», poursuit Véronique Lacroix. De 2018 à 2020, elle a donc complété sa recherche et son mémoire de maîtrise sur La place des femmes étrangères dans les unions matrimoniales des pharaons du Nouvel Empire et de la XXIe dynastie.
Ses sources: différentes pièces de littérature, dont les fameuses lettres d’Amarna, et des objets archéologiques, dont une série de scarabées que le pharaon fait fabriquer pour célébrer l’arrivée de son épouse en Égypte, des petits morceaux de papyrus, un reçu de vêtements qu’une princesse a déposés dans un harem pour les faire nettoyer, des bribes d’information par-ci par-là, qui mentionnent une dame de haut rang ou permettent de croire qu’elle a été à tel endroit à tel moment. «On étudie aussi les trous dans les références dont on dispose, note Véronique Lacroix. Par exemple, si on cesse de trouver des mentions d’une princesse, cela peut aussi vouloir dire quelque chose. C’est comme un espèce de puzzle qu’il faut reconstituer.»
Si elle étudie d’abord les textes qui l’intéressent en traduction, Véronique Lacroix aime aller elle-même à la source des documents pour se faire sa propre opinion. «Cela fait partie de ma formation de lire les hiéroglyphes, dit-elle. Je ne deviendrai jamais une grande spécialiste de l’égyptien ancien, mais cela m’est arrivé de proposer une autre interprétation que celle de la traduction officielle dans un texte qui parlait d’une alliance.»
Si la maîtrise en histoire a confirmé son intérêt pour la recherche en égyptologie, Véronique Lacroix a décidé d’ajouter une corde à son arc en poursuivant ses études au doctorat dans un autre département, celui d’histoire de l’art. Sa directrice, l’égyptologue Valérie Angenot, est reconnue pour ses études innovatrices sur les femmes. Elle a aussi le double mérite d’avoir conduit des recherches sur la période amarnienne et de pouvoir l’initier à une nouvelle approche. «Venant du champ de recherche de la sémiotique et des arts visuels, elle brise le moule des études sur l’Égypte en apportant un regard nouveau sur cette discipline ancienne, souligne la doctorante. Je trouve intéressant d’intégrer cette perspective interdisciplinaire aux études égyptologiques.»
Étudier à la Sorbonne
La recherche doctorale de Véronique Lacroix porte sur la représentation des femmes royales en Égypte ancienne et ses emprunts à l’iconographie typiquement masculine. Toujours dans l’esprit d’ouvrir ses horizons, la doctorante a opté pour une cotutelle avec la Sorbonne, à Paris, l’un des berceaux de la recherche en égyptologie. Pour la codiriger, elle s’est tournée vers le professeur Pierre Tallet, auteur, entre autres, du livre 12 reines d’Égypte qui ont changé l’histoire.
«Étudier à la Sorbonne offre énormément de possibilités, note la jeune femme. Quand je suis arrivée, mon directeur m’a donné la clé de la bibliothèque d’égyptologie! Non seulement j’ai la clé de cette bibliothèque fabuleuse, mais si le document dont j’ai besoin ne s’y trouve pas, je peux probablement l’obtenir dans l’une des trois autres bibliothèques auxquelles la Sorbonne me donne accès.»
La doctorante évoque la diversité des cours et des séminaires offerts, la qualité du corps enseignant, «tout un ensemble de ressources extraordinaires» pour avancer ses recherches. Ses séjours outre-Atlantique lui ouvrent aussi un précieux réseau de contacts, à commencer par son directeur, qu’elle décrit comme «une personne très chaleureuse, très ouverte et très disponible».
C’est grâce à la bourse Luc d’Iberville-Moreau que Véronique Lacroix a pu concrétiser son projet de faire un doctorat en cotutelle. Cette bourse généreuse de 60 000 dollars encourage les études doctorales en cotutelle dans les domaines de l’histoire des arts décoratifs, de l’architecture, du paysage et du design.
Une vision féministe
Le projet de Véronique Lacroix s’inscrit dans une vision féministe. «Il s’agit de se détacher d’une perspective très androcentrique et patriarcale qui considère les femmes comme des accessoires et de les replacer au centre de l’attention en tant que femmes de pouvoir», précise la doctorante, qui adopte aussi une perspective sémiotique. «J’examine les emprunts à l’iconographie masculine royale en m’interrogeant sur leur signification dans un contexte où c’est une femme qui cherche à s’approprier les attributs du pouvoir.»
À titre d’exemple, Véronique Lacroix décrit une image traditionnelle du pouvoir où le pharaon est représenté soumettant ses ennemis, les tenant par les cheveux d’une main et brandissant une arme de l’autre. «La reine Nefertiti emprunte image pour image cette scène du pouvoir royal, souligne l’étudiante. Même si cette iconographie était très peu caractéristique des femmes, elle la reprend à plusieurs reprises. Pourquoi fait-elle cet emprunt? Quel est le contexte sociopolitique qui lui permet de le faire? Quelle est la différence quand c’est elle qui l’emploie et quand c’est son mari? Voilà le genre de questions qui orientent mes recherches.»
La doctorante, qui devrait déposer son examen de synthèse en août prochain, compte terminer sa thèse d’ici deux ans. En parallèle avec ses propres recherches, elle a participé en 2019 à la mission sur le terrain du Karnak Hypostyle Hall project, mené par l’Université de Memphis en collaboration avec l’UQAM et son ancien directeur Jean Revez. Elle participe aussi au projet Oudjat – Regards croisés entre Égypte ancienne et Occident moderne, dirigé par Valérie Angenot, qui comporte un volet muséologique et un volet expérimental alliant l’égyptologie, la sémiotique polysensorielle et l’oculométrie.
Après le doctorat? Véronique Lacroix se dit ouverte à différentes possibilités, que ce soit dans le milieu muséal ou universitaire. Elle est consciente que «l’égyptologie, un domaine qui fascine le grand public, n’est pas celui dans lequel il est le plus facile d’obtenir des subventions». Mais la jeune femme, bien décidée à réussir dans le domaine qu’elle a choisi, compte plusieurs cordes à son arc. En tant que chercheuse, elle a même découvert que son bac en gestion de la mode pouvait lui servir. «Il est utile d’avoir des connaissances en marketing quand on doit défendre la pertinence d’un projet de recherche devant un organisme subventionnaire», dit la doctorante.
On peut entendre Véronique Lacroix s’entretenir de son sujet de recherche avec sa directrice Valérie Angenot dans un balado de la série Trajectoires.
Source : Actualités UQAM