Micheline Labelle | Pour une citoyenneté partagée

Micheline Labelle,
legs testamentaire

Parisienne d’adoption de 1960 à 1964, la Québécoise Micheline Labelle y a été témoin des violences commises à l’égard des Algériens lors de leur lutte pour l’indépendance et contre le colonialisme. Le fait de côtoyer plusieurs exilés fuyant la dictature dans leur pays d’origine a provoqué son intérêt pour la diversité des cultures et l’anthropologie, qu’elle étudie dès son retour à Montréal. « J’ai ensuite fait mon doctorat sur la question de couleur et les classes sociales en Haïti où j’ai vécu plus d’un an. Après avoir soutenu et publié ma thèse, lors d’un court séjour en Haïti, j’ai été déportée manu militari, se souvient-elle. J’abordais des questions politiques qui ne plaisaient pas au régime. »


Professeure au Département de sociologie de l’UQAM de 1976 à 2014, elle y a développé les champs de l’immigration internationale, de la diversité ethnoculturelle, du racisme, du transnationalisme et de la citoyenneté. Ses recherches s’appuient sur de nombreuses enquêtes-terrain.

Codirectrice de la Chaire Concordia-UQAM en études ethniques et titulaire de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté, elle a fondé l’Observatoire sur le racisme et les discriminations et initié le premier programme de certificat en immigration et en relations ethniques au Québec, avec des collègues de l’UQAM. Son expertise en matière d’analyse du racisme lui vaut une notoriété sur le plan international. Ainsi, à la demande de l’UNESCO, elle collabore à l’élaboration du plan d’action de la Coalition internationale des villes unies contre le racisme, et par la suite, à celui de la Coalition canadienne.

Ses travaux ont contribué à la contestation des visions essentialistes de l’ethnicité qui sous-tendaient la sociologie traditionnelle des ethnic studies. Parallèlement, elle poursuit une critique réitérée de la catégorisation des personnes et des groupes  qui domine dans les institutions sociales, les partis politiques et le milieu de la recherche : « Selon moi, cette catégorisation a contribué à reproduire le binôme Québécois/communautés culturelles, et encore aujourd’hui le binôme Blancs-Noirs, qui nuisent au sentiment d’appartenance et à une citoyenneté partagée dans le contexte québécois ».

En 2015, elle remporte le Prix Hommage – 40 ans de la Charte des droits et libertés de la personne pour souligner le combat qu’elle mène depuis des années pour le  dialogue entre les diverses composantes de la société québécoise et contre les discriminations.

Malgré les nombreuses avancées qu’elle a pu constater au cours de sa carrière, elle s’inquiète aujourd’hui de la montée de l’extrême droite et du populisme partout dans le monde : « Quand j’ai commencé à l’UQAM, c’était une très belle période de grands changements sociaux, marquée par des projets, des politiques, des mouvements sociaux innovateurs et progressistes On ouvrait largement le champ des possibles. Aujourd’hui, l’air du temps est à la fragmentation des luttes, à la violence, à la frilosité, au repli individualiste, au racisme ambiant. Mais rien n’est arrêté.»

Professeure émérite, elle a choisi de faire un legs testamentaire et de créer les Bourses Micheline-Labelle et Patrice-Robillard, destinées à des étudiantes et étudiants des cycles supérieurs s’intéressant à la question nationale du Québec, aux études autochtones ou à l’immigration et à la citoyenneté. « Aider les jeunes a été mon travail pendant toute ma carrière, c’était logique pour moi de continuer à les appuyer. »

Hommage posthume à son fils bienaimé Patrice, décédé accidentellement à l’âge de 18 ans, « ces bourses assurent en quelque sorte sa mémoire, souligne la donatrice. Je souhaite qu’elles permettent aux lauréats et lauréates d’avoir un beau parcours de vie. »

Publié le 18 mars 2019

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