Antje Bettin,
don majeur et don planifié
C’est comme étudiante étrangère et boursière qu’Antje Bettin est arrivée au Québec en 1976. Enseignante et chercheuse à l’université de Bochum en Allemagne, son pays natal, elle s’intéressait à la sociolinguistique et à la didactique des langues. Lorsqu’elle entend parler d’une étude majeure à l’Université de Montréal portant sur la variation des niveaux de langage selon les situations sociales, elle décide de s’envoler vers Montréal afin d’y contribuer et de faire progresser son propre projet de doctorat.
Alors que sa bourse devait normalement être renouvelée, une crise économique en Allemagne et les coupures importantes dans le milieu universitaire compromettent le financement de sa deuxième année à Montréal. Pour continuer ses études et son séjour, elle était obligée de gagner sa vie en postulant des charges de cours spécialisés, le seul type de travail autorisé à cause de son statut d’étudiante au doctorat. « Rapidement, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas travailler et faire mon doctorat en même temps, alors j’ai choisi de travailler d’abord et j’ai fini mon doctorat après. »
C’est justement parce qu’elle a connu l’impact d’une bourse – et du manque de bourses – sur son parcours étudiant qu’elle décide de mettre sur pied le Fonds interculturel – Antje Bettin en 1993. « J’ai créé le fonds quand j’ai enfin eu un poste permanent. C’était un peu pour remercier le Québec et l’UQAM de leur accueil et pour favoriser ainsi l’ouverture vers l’autre », explique la professeure retraitée, qui a également fait un don d’assurance vie pour bonifier le fonds capitalisé.
Professeure au Département de linguistique jusqu’en 2007, Antje Bettin a œuvré à créer un cadre administratif distinct pour l’enseignement des langues à l’UQAM, devenu l’École de langues en 1997. « Ça a été un travail d’équipe qu’on a mené avec des chargés de cours dynamiques et compétents », rappelle celle qui a dirigé l’École pendant plusieurs années. « Grâce à la collaboration déterminante de mon collègue Léon-Gérald Ferland, des cours de français langue seconde se sont ajoutés aux cours d’anglais, d’espagnol, d’italien et d’allemand. Puis, les cours de chinois, de japonais, d’arabe, de portugais, de russe et même de langue des signes québécoise ont eu beaucoup de succès, et on a créé le statut de maître de langues, qui a favorisé la création des certificats et le développement de nombreux programmes. » À partir de presque rien, l’École de langues a grandi et permet aujourd’hui à de nombreux étudiants et étudiantes d’élargir leurs horizons linguistiques et culturels.
En côtoyant des étudiants étrangers embauchés comme moniteurs à l’École de langues, elle constate leurs difficultés de s’intégrer à une nouvelle société. « Quand je suis arrivée au Québec, mon intégration a été facile. Je parlais déjà bien français, j’étais sociable, sportive. Mais je sais que ça ne se passe pas comme ça pour tout le monde, et c’est pour ça aussi que j’ai créé une bourse qui permet notamment de faciliter l’intégration des étudiants non francophones », explique-t-elle.
Depuis 27 ans, Antje Bettin a permis de remettre 64 bourses à des étudiants et étudiantes ayant présenté une démarche de rapprochement interculturel. Toutes sortes de projets ont été encouragés au fil des ans, dont du théâtre avec des communautés inuites, des liens avec un groupe népalais des Laurentides ou l’amélioration de l’enseignement en classe d’accueil. « C’est motivant pour moi de voir des étudiants ouverts, intéressés, qui contribuent à la compréhension de différentes cultures. Et même si la société a changé depuis mon arrivée ici, on est loin d’avoir fini avec nos efforts pour encourager l’interculturel », souligne-t-elle, mentionnant notamment la résurgence du mouvement Black Lives Matter cet été.
Pour elle, il importe d’encourager ceux et celles qui font un effort supplémentaire pour nous rapprocher tous et toutes. « Il faut développer une empathie pour les personnes qui sont différentes de nous. Et toujours se rappeler que la différence est une richesse, pas un obstacle. »
Publié le 15 septembre 2020
Photo : Jean-François Hamelin